Lorsque je vous dis : « culture », quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit ? Un musée, une peinture, une sculpture, un film, une photo, un livre ? A cette question, certains d’entre vous, pour se distinguer des masses, accoucheront d’un nom inconnu aux autres et tout triomphant de cet instant tout à fait glorifiant (sans pour autant laisser le moindre de leurs traits trahir cette excitation), s’efforceront par mansuétude de remédier à leur inculture. Il est en revanche nettement moins probable qu’ils vous sortent un « Zelda », un «shadow of the collosius », ou un « final fantasy ». Parce que c’est vachement moins classe et que la probabilité de briller en société en sera largement amoindrie.
Ces braves types sont aussi les bâtisseurs de la grande muraille qui sépare l’orient et l’occident, la culture et le trivial, l’intellectuel et la bêtise, ce qui mérite l’attention et ce qui est méprisable, le jardin et la friche, ce qui doit sa place au panthéon et ce qui devrait se faire pisser dessus. Confortablement installés sur des centaines et des centaines de livres qu’ils broutent à longueur de journée, leur système digestif est tout entier concentré sur l’instant où ils pourront, avec soulagement, vous les ruminer au nez. A ces maux je ne vois qu’un remède : un petit plombier moustachu.
Vous me direz « c’est absurde », je vous dirai « et c’est tant mieux ! ». Ne laissons pas les vieux intellectuels sclérosés, certains papis de la Sorbonne, certains médias, nous dicter ce qui est intelligent et ce qui ne l’est pas. Allons tâter le vulgaire nous-mêmes pour en saisir les nuances, les ambiguïtés, tout ce qui mériterait en vérité notre plus fine attention et que nous abandonnons bien trop vite par honte et par conformisme. Ne cédons pas trop vite à l’appel de la critique, soyons plus malins et plus rigoureux : étudions la chose par nous-mêmes. C’est là l’unique faute (et non moins condamnable) de tous les intellectuels qui tirent les yeux bandés et à tout bout de champs sur un ennemi, somme toute très agréable, qui leur serait en vérité bien sympathique s’ils prenaient un peu de temps pour le connaitre. Erigé en Ayatollah de la violence (GTA) ou en lobotomiseur des foules, le Jeu vidéo n’a guère sa place dans les chasses gardées strictement définies de la culture. Les grosses licences qui font de la violence leur attrait monopolisent la scène vidéoludique au point d’en affoler les plus frileux. Pourtant Rocky Balboa existe, et le cinéma y a survécu.
Peut-être est-ce l’aspect ludique du « jeu » vidéo qui fait froncer les sourcils. Mais le trivial poursuite est là pour nous rappeler qu’on peut jouer intelligemment, et connaitre les jeux vidéo vous donnera d’ailleurs nettement plus de chances de gagner un camembert rose. Quelques exemples peuvent être à ce titre éclairants : Ico (Fumito Ueda) raconte l’histoire d’un garçon né avec des cornes, donné à des chevaliers sans visages par son village, qui craint une malédiction. Il est alors enfermé dans une forteresse au milieu d’un amoncellement de sarcophages. Parvenant à s’échapper, il rencontrera dans sa fuite une entité féminine, Yorda, poursuivie par des ombres noires. Ensemble, sans parler la même langue, ils tenteront de fuir le château. Un jeu indépendant récent, Limbo, nous met dans la peau d’un enfant perdu dans un univers onirique en noir et blanc, fuyant des monstres cauchemardesques pour atteindre un but qui ne nous est révélé qu’à la fin. Sibéria, de Benoit Sokal, raconte l’histoire d’une avocate mandatée par une entreprise pour racheter une usine à Hans Voralberg, inventeur d’automates. Dans son périple pour le retrouver, elle empruntera un train automatique conduit par un robot, Oscar, qui l’emmènera tout droit sur une île perdue et inconnue, où existent encore…des mammouths. Qui mieux que Hayao Miyasaki pour terminer avec son jeu, Ni No Kuni ? Voilà donc un petit florilège qui saura, je l’espère, apaiser les plus récalcitrants. Il y a de la poésie dans le jeu vidéo comme il y’en a dans le cinéma.
La limite de la culture telle qu’elle est soigneusement établie est donc friable, voire un peu feignante. Dire que « c’est mauvais » épargne certes l’effort d’aller y regarder à deux fois, mais c’est surtout une bonne grosse excuse de flemmards qui n’ont jamais tâté de la manette.
Alesklar