Aujourd’hui est un grand jour pour moi : non seulement c’est la rentrée du Barbu – et ça c’est youpla boum – mais en plus je vais vous parler de Pinocchio de Winshluss – et ça c’est pire que youpla boum.
Pinocchio, c’est un roman graphique édité aux éditions Requins Marteaux en 2008 (oui je sais, encore un ouvrage récent..) écrit par Vincent Paronnaud, parce que personne ne s’appelle vraiment Winshluss dans la vie. Pour vous situer un peu le gars, c’est le co-réalisateur de Persepolis, en toute simplicité.
Ma première rencontre avec le pantin 2.0 s’est faite dans la maison de vacances d’un ami qui l’a qualifié de « meilleure BD du siècle ». D’un autre côté on était en 2012, c’était pas dur d’être la BD du siècle. A l’époque, j’avais feuilleté la bête sans trop y faire attention parce qu’il y a NCIS à la télé mais les images, les dessins et les couleurs me revenaient régulièrement en mémoire.
C’est en lisant finalement l’intégralité de l’ouvrage que j’ai compris mon obsession. Rien que la couverture donne le ton avec le titre à la Hot Wheels et un fouillis parfaitement orchestré de d’hirondelles, de roses et autres cartes de taro façon tatouage hipster sur fond métallisé. Dès la couverture tu sais que tu t’en sortiras pas indemne.
L’histoire du petit pantin de bois est revisitée façon odyssée dans un monde aussi absurde qu’apocalyptique. Ce n’est plus la marionnette qui veut devenir petit garçon mais une machine indestructible sans âme qui traverse un monde à feu et à sang et se fait embarquer dans des histoires impossibles, un peu comme une méduse qui suit le courant.
Parallèlement, on suit la vie de Jiminy cafard, un cafard écrivain raté qui squatte la caboche métallisée de Pinocchio (on est loin de ce gentil Jiminy criquet). Le fil conducteur est aussi entrecoupé d’histoires ruinant notre enfance à grands coups de tatane en acier dans la gueule. Pour vous donner un ordre d’idée, Blanche-Neige est en fait l’otage des sept nains devenus SM et finit par se faire sauver par une surfeuse avec qui elle se met finalement en couple. Voilà.
Absurde, lofoque et d’un humour carrément dérangeant c’est pourtant moins l’histoire que le visuel qui maintiendra Pinocchio jusqu’en 2099 au rang de « meilleure BD du siècle ».
Winshluss fait parler les images, sans déconner. La BD est muette et pourtant, à chaque fois que je parle de ce bouquin, la première chose que je dis c’est qu’on entend les images. Pour une raison que je ne saurais expliquer, on entend presque physiquement la musique des soldats, le fracas de la mer, les explosions, le bruit tranquille des forêts tropicales. A mesure qu’on lit, le dessin prend toujours un peu plus de réalité, entre progressivement dans notre troisième dimension. Et j’étais même pas bourrée.
Le dessin est d’une puissance et d’une profondeur qu’on peine à décrire avec des mots, évidemment. La qualité du trait de Winshluss est indéniable mais je voudrais aussi saluer le merveilleux travail de mise en couleur de Cizo (assisté de Frédéric Boniaud, Thomas Bernard et Frédéric Felder) car je crois que c’est grâce aux couleurs que Pinocchio flirte avec l’expérience mystique.
J’ai conscience que cet avis est très personnel et mon meilleur pote a lu Pinocchio avachi sur mon canapé sans ressentir beaucoup plus de trucs que quand tu lis une BD un aprem’ de mai sur le canapé d’une pote mais peut-être qu’un petit lecteur parmi vous aura les mêmes sensations que moi et puis ceux qui ne l’auront pas passeront quand même un merveilleux moment, ça c’est garanti.
Au fait, je l’annonce un peu en retard mais Coyote est mort à la mi-septembre. Je ne lui consacre pas mon article car je n’ai jamais accroché à son univers de motards en Harley mais il n’empêche que c’était un dessinateur de talent salué par ses pairs. Donc si vous avez rien à faire ce weekend ou que vous avez trop la gueule de bois, essayez de lire Lieutenant Kévin même si les moustachus tatoués c’est pas votre truc. Et puis on sait jamais, ça peut devenir votre truc, c’est celui de beaucoup de gens.
Shamsi