Les mains pleines de tractes ou les mains de Cléopâtre

floria

Chroniques du festival d’Avignon.

Cet été, comme tous les étés, je rentre dans mon sud natal, écouter le chant des cigales, me relaxer au soleil, nager dans la rivière de Colias et boire un Mojito sur les terrasses des places avignonnaises… les deux premiers jours. Après le festival d’Avignon commence, et je cours dans tous les sens, entres les théâtres du IN, du OFF, les théâtres où je vais voir des pièces et les théâtres où je travaille. Et croyez-moi c’est la merde ! Entre les embouteillages de personnes dans les rues, la chaleur assommante de cette année, les climatisations défectueuses, l’anarchie du collage des affiches sur chaque poteau, bite, gouttière, grillage qui existe, le programme du OFF qui pèsera bientôt six kilos s’il continue à y avoir autant de pièces, et les comédiens fatigués qui tractent huit heures par jour, ce n’est pas de tout repos de faire le festival d’Avignon.

Cela fait dix ans que je travaille pour des compagnies dans le festival… Je dois avouer que le travail n’y est pas la chose nécessairement la plus légiférée qui soit ! J’ai commencé à tracter et à coller des affiches, assez jeune et j’en ai vu des conneries. Cette année j’ai monté un degré sur l’échelle sociale, je ne suis plus tracteur. Parce que, oui, quand on parle des centaines de  »tracteurs » à Avignon, on ne parle pas de ceux qui bloquent les autoroutes parce que leurs propriétaires sont sous payés par les grands magasins qui les exploitent alors même qu’ils produisent la ressource la plus essentielle en France : la bouffe ! Non, je parle des jeunes comédiens qui font la pub pour leur spectacle ou les jeunes gens, souvent avignonnais, qui sont payés pour le faire. Parcourir deux cents mètres à Avignon sans récupérer une dizaine de tracts relève du miracle ! D’ailleurs j’ai trouvé une combine pour éviter d’avoir des tracts plein les mains. Cet été j’ai invité le Papouchet et Aleksar et je leur ai refilé tout ce qu’on me donnait, et comme ils dormaient chez moi, eh bien… disons qu’ils avaient pas trop le choix, c’est vraiment mal de faire ça !!

Alors la question est : est-ce que tous ces problèmes portent leur fruit ? Est-ce que la programmation est exceptionnelle ? Est-ce que cette ville ceinte de hautes murailles est un terreau de culture ? Est-ce que ces compagnies qui payent 3000€ le mois pour un 45m², des prix qui feraient jouir un propriétaire parisien, trouvent leur public ? Pas toujours. Et si eux ne trouvent pas leur public, moi je ne trouve pas toujours mon bonheur.

D’abord, oublions les théâtres qui jouent du boulevard et du mauvais stand-up, exit les Paris, Palace et autres usines à rires gras, théâtres avignonnais qui affichent complets à chaque séance avec comme seuls arguments de vente, c’est rigolo et c’est vu à la télé ! Ce n’est pas par pur snobisme que je me refuse à aller dans ces théâtres, bon peut-être un peu, mais participer à l’économie de ceux qui font la ruine des théâtres qui proposent de véritables programmations et qui doivent se faire retourner dans leurs tombes Vilar et Benedetto est impensable. De plus, ces soi-disant théâtres populaires, après tout quoi de plus populaire que l’humour, font payer des prix astronomiques à leur public, sans tarifs préférentiels pour les étudiants, les chômeurs ou les autres compagnies, comme il est de coutume de le faire au festival ! Sans déconner, une place là-bas, pour un jeune, c’est plus cher qu’un spectacle de onze heures dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes !

Si je devais retenir quelques spectacles de ce festival d’Avignon, de ce que j’ai vu, je vous parlerai du IN, parce que j’ai beaucoup parlé de l’univers du OFF. Si la première programmation d’Olivier Py, en 2014 m’avait fait vibrer, celle de 2015 m’a parfois laissé un goût amer et fade. Entre Andreas qui a rendu Strindberg absolument exaspérant et Les Idiots qui a massacré son matériau d’origine, ça ne partait pas gagnant. Les Idiots était une adaptation du film de Lars Von Trier en une pièce inconsistante, et avec un finale purement et simplement démagogique en faisant intervenir des jeunes acteurs trisomiques qui venaient seulement sauver la fin, évitant ainsi à l’équipe de se faire huer. En effet, la pièce était mauvaise, que ce soit l’adaptation vidée de son propos du film Les Idiots, la transposition théâtral du Dogme 95 qui ne faisait pas grand sens, ou les sur-titres, parce que le spectacle était en russe donc il fallait des sur-titres, qui avaient toujours trois bonnes secondes de retard, c’était une catastrophe. Mais la fin était absolument démago. Faire intervenir ces jeunes acteurs handicapés, qui respiraient la joie de vivre, après ces deux heures et demi de souffrance, n’avaient pas de sens ! Et pire, ils instrumentalisaient ces jeunes gens ! En effet, aucun spectateur ne peut décemment siffler un enfant trisomique qui vient danser, heureux, sur scène ! Il y a eu des spectacles ou des films où l’intervention d’acteurs trisomiques a été un franc succès, et a donné lieu à des œuvres fortes et émouvantes, mais cela avait un sens. Après il y a eu des spectacles de relativement bonne qualité, comme Le Vivier des Noms de Novarina ou la lecture de Sade de Isabelle Huppert dans la Cour d’Honneur.

À mon sens, les deux grandes pièces à voir de la programmation du IN 2015, parmi les spectacles que j’ai vu bien sûr, sont Antoine et Cléopâtre mis en scène par Tiago Rodrigues d’après Shakespeare et Richard III de Shakespeare, mis en scène par Thomas Ostermeier. La grande surprise a été Antoine et Cléopâtre, pourtant dieu sait qu’ils ne partaient pas gagnant. Une pièce en portugais, avec deux acteurs, pour du théâtre anti-naturaliste, du théâtre récit, dans une salle où on meurt de chaud et où les sièges sont si serrés qu’on se sent franchement oppressés, le pari était risqué. Mais le souffle des acteurs installe un rythme, par la répétition, quasi obsessionnelle de la parole. La scénographie est lapidaire, tout est posé par les mains des deux comédiens Sofia Dias et Vitor Roriz. Leurs mains nous permettent de visualiser les bateaux de la bataille d’Actium, le lit de mort de Cléopâtre autant que l’amour entre ces personnages. Commotion est le mot. La commotion sentimentale des personnages est accentuée par la co-motion, par un mouvement avec les mains des personnages, le tout pour emporter avec soi le spectateur.

Si quelques mois après la fin du festival, mes mains sont vides de tractes, les mains de Cléopâtre sont pleines de sens.

BonneMère

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