Le festival d’Automne et l’opéra ont fait cette année la part belle à Romeo Castellucci, avec pas moins de trois pièces et un opéra présentés dans les théâtres parisiens. Déjà on se demande quand est-ce que le gonze arrive à pioncer à un moment. Mettre en scène quatre œuvres en moins de deux mois relèvent du record et rien que pour ça il devrait y avoir foule dans les théâtres pour admirer la prouesse. Mais quand même notre italien beau gosse, parce qu’il est quand même sacrément sexy le con, n’est pas un simple marathonien du théâtre – par contre son spectateur c’est une autre question.
Déjà, depuis « les événements » pour rentrer dans un théâtre il faut être sacrément motivé. Les événements ou comment user d’un bel euphémisme pour dire l’horreur de l’ignorance et de la haine. État d’urgence oblige, pour rentrer dans un théâtre : fouilles de sac et détecteurs de métaux sont de rigueur, un parcours du combattant-spectateur. Imaginez-vous la vie difficile de spectateur parisien, si vous en faites partie vous connaissez le calvaire en d’infinies stations que représente cette dure vie de spectateur de théâtre. Il faut d’abord prendre le métro, et fendre la foule de fainéants qui n’ont pas la décence d’avoir une vie sociale après des heures de labeur et qui marchent au petit pas. Ensuite il faut sortir du métro en réussissant à éviter la connasse qui s’arrête en haut de l’escalier pour chercher un truc dans son sac. Et quand on arrive au théâtre, sur les cinq portes ouvertes habituellement, deux subsistent. S’entassent une masse informe de gens. De nouveaux assaillants entrent en jeu : les distributeurs de la Terrasse. Ils vous haranguent en vous proposant la Terrasse, un journal de 800 grammes de papier, rassemblant des articles sur tous les spectacles sauf ceux qui t’intéressent. Une fois passé ce petit boss de fin de niveau, il faut ouvrir son sac, et offrir à la vue du vigile les éléments les plus intimes de sa vie personnelle de sac à main. Puis ouvrir son manteau dans une position qui n’est pas sans rappeler celle des messieurs bizarres dans les parcs proches du périphériques, qui dissimulent quelque surprise sous un trench coat beige. Ça y est, on est entrés dans le théâtre, bain de foule de piétinants devant les portes closes. Les portes ouvrent, on s’engouffre dans la Grande Halle de la Villette.
Oui, mon introduction sur Romeo Castellucci n’était pas entièrement gratuite. Il sera question de son spectacle Le Metope del Partenone ou Les Métopes du Parthénon pour tous les gens qui ne parlent pas italiens, c’est-à-dire tout le monde, on ne va pas se le cacher. Ce spectacle créé en mai 2015 à Baal met en scène à la suite six scènes d’accidents, dans lesquels six protagonistes ont été victimes d’un accident, chute avec fracture, attaque cardiaque, choc allergique, brûlure à l’acide et sectionnement d’une jambe. Oui c’est joyeux comme sujet. L’accident en lui-même n’est jamais représenté, seule sa conséquence est mise en scène. À la suite de leur réalisation du problème, un camion du SAMU arrive et sortent quatre vrais secouristes, qui tentent de sauver la victime. Chaque victime mourra. À chacun de ces cas, est projeté une petite devinette, très belle, très imagée. Le truc qui te détend trois minutes avant de reprendre en pleine face les cris désespérés d’un homme brûlé criant à un mètre de ton visage « Help me ».
Le dispositif est intéressant car il nie le classique frontal d’un côté la scène et d’un côté la salle. Non, non, non. On est debout, une foule amassée et voyeur autour de la victime. Le vrai spectacle c’est cette foule de spectateurs anonymes. Castellucci dit qu’il veut que ce soit « comme dans la rue », un accident advient et les badauds s’amassent autour, prenant des photos. Ici c’est pareil. Les gens forment des ronds autour des blessés. Certains s’approchent et jouent des coudes pour voir de près la souffrance. D’autres font des syncopes et tournent de l’œil à la première flaque de sang, et hop on voit une rangée de vingt personnes, tout âge confondu, les yeux dans le vague qui refusent de voir l’horreur. D’autres prennent des photos, leur smartphones brandis. Réflexe actuel qui au mieux traduit le besoin de mettre un medium entre l’horreur et toi, au pire traduit une impulsion morbide de garder la preuve qu’on a vu la mort. Castellucci sait toucher, éprouver voire traumatiser son spectateur et il permet là de mettre en lumière les comportements de toi petit spectateur. Il fait en sorte d’identifier les mouvements de foule face à l’horreur et de faire ressortir le vieux pervers voyeur en tous.
BonneMère