Soudain, les sirènes se mettent à crier. Un OVNI traverse l’espace aérien ! Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Non, c’est un barbu ! Hélas nous vivons une époque où la pilosité faciale éveille la suspicion, surtout lorsque le propriétaire de ladite pilosité transporte avec lui moult colis potentiellement piégés et qu’il est entré sur le territoire national sans autorisation. Les canons sont donc braqués sur l’énergumène, et feu ! Les rennes effrayés font une embardée, le Père Noël perd le contrôle de son traîneau qui va s’écraser dans la cour de la Sorbonne.
Se relevant péniblement, le bonhomme fait face aux statues de ses deux glorieux homologues barbus, Victor Hugo et Louis Pasteur. Son traîneau n’a pas été trop abîmé, la cargaison n’a pas souffert, mais les rennes ont quitté leur poste. Exténués et effrayés, ils se sont installés sous les arcades et sont maintenant plongés dans la lecture de livres de poches (les uns se sont regroupés autour d’un Kundera, un autre, à l’écart, potasse Sénèque). Mr Noël les invective, il faut se remettre au travail, mais c’est en vain qu’il crie de douleur de fureur et de rage et qu’il pleure. Il décide alors de partir en quête de quinoa, seul carburant capable de remettre d’aplomb ses rennes.
Le brave vieillard à la barbe fleurie quitte donc la sacro-sainte enceinte de l’université pour se mettre en quête de Boboland, terre bénie où le quinoa germe à longueur d’année. Perdu dans la nuit de la rive gauche, il demande son chemin à un individu bizarre portant un T-shirt « the Who ». Mais à cette heure-ci, tout les magasins bios sont fermés ! L’Institut finlandais rue des Écoles lui même est porte close. Au bord du burn-out, le pauvre homme avance au hasard boulevard Saint-Michel, passant devant les vitrines où trônent, inaccessibles eux aussi à cette heure, les CD d’Edith Piaf et les BD de Dupuy-Berbérian qu’il aurait pourtant voulu mettre dans sa hotte.
C’est alors que, désœuvré, le Père Noël arrive devant le théâtre de l’Odéon. Une foule immense est justement en train d’en sortir, qui a vu la dernière pièce de Romeo Castelluci. S’il n’aime pas les gens qui toussent au théâtre (les salauds!) le barbu aime beaucoup tout les autres spectateurs et se mêle aux joyeux attroupement. Soudain la ville est en fête et en délire, les cris et les rires éclatent et rebondissent autour de lui. Mais voilà qu’on le reconnaît ! On s’attroupe autour de lui et on l’acclame, on le hisse sur une table et on lui demande un discours.
Mr. Noël a beau être amateur de harengs fumés, il n’a jamais été particulièrement doué pour haranguer. Que dire à tout ces visages qui le scrutent en attente d’une parole inspirée ? « I would prefer not to » se dit-il. Il examine chacun de ceux qui sont là, un à un. Mais on commence à s’impatienter. Alors, pris de court, il entame Foule sentimentale d’Alain Souchon.
Immédiatement, c’est l’euphorie la plus totale, la folie furieuse. La foule se déchaîne et tente d’arracher les vêtements du chanteur qui se retrouve sans son manteau, frissonnant dans ses collants fushia (on est en décembre, la nuit, et place de l’Odéon il y a des courants d’air). Le hashtag #Barbusentimental fleurit sur les réseaux sociaux.
Éperdu parmi ces gens qui l’ovationnent, étourdi désemparé il reste là. Tout cela est bien gentil, mais toujours pas de quinoa à l’horizon ! Le Père Noël lance un appel à ses admirateurs, quelqu’un ne saurait-il pas où trouvez du quinoa les amis ? Mais on ne l’écoute pas, et on le porte triomphalement à travers les rues. Emporté par la foule il se retrouve sur les bords de Seine.
C’est alors qu’il passe devant la fontaine Saint-Michel. Et là, que voit-il dans le bassin ? Un banc de sushis à volonté qui tourbillonne ! Les sushis sont une alternative tout à fait acceptable au quinoa – en fait, c’est même beaucoup mieux. Mais le bruit du cortège a effrayé les poissons, qui s’agglutinent le plus loin possible de la surface. Le Père Noël plonge et va les attraper. Aucun ne parvient à échapper à l’emprise de ses grosses mains velues et sensuelles.
De retour devant la Sorbonne, le barbu croise les rédacteurs du Barbu, occupés à distribuer héroïquement des liasses à la populace en délire (certains rédacteurs, un peu agoraphobes, sont au bord de l’évanouissement tandis que d’autres s’en donnent à cœur joie). Le Barbu qui ce mois-ci vous parle justement de la foule, la foule dans tout ses états : manifestante, tonitruante, mouvante, dangereuse ou rassurante, sentimentale, aquatique, théâtrale, bobo, sous une pluie de lave en fusion… Après avoir acheté un exemplaire comme tout le monde, le Père Noël rentre dans la cour où il retrouve ses rennes. Il leur jette en pâture le banc de sushis qu’ils dévorent goulûment. Revigorés, ils sont prêts pour le décollage. Alors que la foule envahit la cour et l’acclame à grands cris, le bonhomme enfourche son traîneau tel Daenerys Targaryen son dragon (spoiler alerte) dans l’arène de Mereen à la fin de la saison 5 de GoT. Il s’envole vers d’autres cieux tout en vous souhaitant d’excellentes fêtes de fin d’année.
Le Dr. Céphalopodus