« Moi, moi, moi »

bandit

N’est-on pas, c’est vrai, trop homme, trop femme, trop humain ? On a tendance à s’oublier, à se fondre dans une, pardon, la nature humaine, à se définir dans un monde lui-même défini.

Il est souvent usant de vivre cette vie qui est là, où chaque action ne brille avec pâleur que par le degré de ressemblance à une vertu. Les éternelles et formidables innovations de nos structures sociales nous amènent ainsi toujours plus vers la disparition totale du citoyen qui dissout son individualité dans la foule comme une aspirine dans un verre d’eau, ayant pour idée de soigner un maux de tête.

Or, ici, quel est le maux, le mal, le défaut, la maladie ? La morale à rebours, la cécité morale, la solitude ?

Aucune véritable escapade ne semble permise face aux droits de l’homme (de fait sérieux puisqu’internationaux, voire universels, n’ayons peur de rien), règle ultime qui institue la liberté (sic). Et quelle place pour… l’imagination ? Bien sûr, il semble niais, sinon dangereux, de tenter par toute sa force de dominer l’asile inconscient de nos valeurs ou plutôt des valeurs et des vertus qu’une magie inexpliquée nous inculque à chacun avant l’âge rationnel. Cette source morale qui habiterait et irriguerait n’importe qui, foyer ultime de l’être, apparaît pourtant parfois comme l’incarnation même de l’étrangeté à soi. Les mauvaises langues n’hésiteraient d’ailleurs pas à considérer ce surmoi comme une morale religieuse… laïcisée.

Suis-je vraiment certain, moi, qu’il n’est pas bon de tuer mon voisin par simple plaisir de jouir de cette possibilité actualisée, pour ressentir mon imagination en acte ? On pourrait admirer le criminel, le bandit, le voyou pour ça. Pas la canaillerie romantique mais le vrai gangster, celui-là même qui n’accepte pas la dictée et qui, plus loin, ne saisit pas tant la morale comme une morne et froide sagesse, mais bien plutôt comme une infinité de possibilités de vie. Pour ces pirates, leurs actes ne sont pas hors-la-loi mais simples explorations du présent, lequel incarne aussi une hypothèse de vie donnée, avant la suivante.

S’il attaque une diligence, le voyou est un belligérant, ne pouvant décemment accepter l’idée d’être en dehors d’un cadre législatif dont les principes lui sont étrangers (hors-la-loi). A ce titre, face à l’Etat, réalisation associative fixe et figée, le criminel se sent extérieur et préfère une sociabilité plus plastique et dont il est l’auteur : le travail en groupe pour réaliser tel ou tel autre méfait, l’entente temporaire et libre pour réaliser un crime encore plus grand et encore plus beau.

Bien au-delà du respect aveugle à une liste de principes (DDHC, CEDH et autres acronymes qui révèlent leur nature administrative), les criminels et les criminelles, les voyous et les voyelles, préfèrent développer toute l’essence des choses et dépasser la morale pour fonder leur propre éthique, au-delà de tout principe. Le mal n’est par exemple pas, pour eux, déterminé en fonction de ce qui est défini comme interdit, mais se charge de sens différents selon ce avec quoi il est mis en confrontation, à l’image d’une couleur ou d’un son. L’éthique du bandit se développe donc dans le temps en tant que système infini de rapports, ne faisant qu’un avec les atomes et leurs combinaisons chimiques.

Loin de la nature humaine, il s’agit d’une jouissance illimitée du monde et de la vie, ou autrement dit, de ne fonder sa cause sur rien, de se débarrasser de ses qualités, d’être ce que l’on devient.

Pareille unité n’est-elle pas alors une forme de sainteté ?

G.L.

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Vacheries imaginaires

Cet article n’a strictement aucune prétention scientifique.

Les vaches semblent être les habitantes les plus actives dans cette région : ça tinte de très bonne heure et jusqu’à la nuit. Une vie de vache c’est vachement vache. On a quand même inventé l’adverbe vachement un jour. On s’est quand même dit que la vache valait bien une messe, que dis je, un sanctuaire dans la langue française… Certes, l’expression est un peu passée de mode depuis que le nombre de jeunes dans les lycées de campagne décroît chaque année un peu plus. D’autant que c’est vachement moche vachement. Mais passons, on a quand même osé. Ca pose bien cette question de la géographie des expressions et de leur plus ou moins grande caducité à mesure qu’on s’éloigne d’un point d’ancrage initial. Peu de gens disent vachement à Paris et on ne sait pas forcément d’où pourraient bien venir toutes nos expressions courantes.

Courantes, c’est bien ce dont il s’agit : elles courent jusqu’à s’enfuir, elles passent. Quelques chanceuses deviendront des expressions, point, qui n’ont pas à faire la course, à suivre le temps. J’ai le seum, combien de temps ça peut durer par exemple ? L’emprise anglaise dans la langue, redoublée par le verlan. Avoir le seum c’est vachement moche et pourtant, on le dit tout le temps.

J’ai l’habitude de m’amuser à écouter la langue des autres : mes ami.e.s, mes profs, mes vieux parents etc. On peut toujours déduire quelque chose de la langue de quelqu’un.e. et ça s’étend bien au delà de sa simple origine sociale. L’autre jour par exemple, je m’amusais à souligner les effets de langue démodés d’une amie. Essayons : tu charries, t’es maboule, fichtre, les petons, fumer comme un pompier, c’est chouette, c’est bat etc etc. Si on les entend, on hausse les sourcils, on sourit un peu, sauf si on a nous même une légère tendance à être démodé.e. Quelques jours plus tard, j’étais avec une autre amie, allemande, qui a étudié dans une école franco-allemande. Elle a donc essentiellement appris un français scolaire et un français de profs entre 40 et 55 ans. Depuis cinq ans, elle fréquente des francophones de son âge ce qui fait que sa langue est en fin de compte assez proche de la mienne . Ce qui est drôle, c’est que dans sa langue française, c’était les expressions argotiques qui passaient mal, par exemple : « ça pue la merde » pour dire « c’est de la merde » (on pourrait d’ailleurs s’interroger sur la remarquable longévité de la merde dans la langue française…). On tolère bien souvent ce qu’on perçoit comme des fautes de langue de nos amis parce qu’on trouve ça drôle et ringard, inapproprié et poétique même quand on parle de merde -si si je vous assure- mais elles nous ramènent toujours à la même question : pourquoi ça ne se dit pas/plus ? On a coutume de distinguer les langues vivantes et les langues mortes, au grand désespoir des profs de latin comme on finit par établir une hiérarchie entre ce qu’on dit et ce qu’on ne dit plus, qui est mort en somme. Pourtant, je crois que c’est aussi simple que ça : si je ne dis plus vachement, c’est que j’habitais en ville et que j’avais oublié la taille des vaches et comme leur cloche pouvait sonner dix heures de suite : je ne voyais plus de vaches donc elle ne devenait pas une obsession. Alors les choses se sont contentées d’être énormément parce que j’avais une idée l’énorme mais elles pouvaient aussi être grosses de ouf parce qu’on vit dans un monde de oufs, pour un temps en tout cas. On peut très bien décider de parler une langue « neutre » : celle des concepts, une langue non marquée par l’espace et le temps mais je crois que cette langue là serait vite à bout de souffle.

Sur ce, je vais réfléchir au spécisme dans la langue française, je vous épargne ça (mais pas d’aller chercher ce que veut dire spécisme…)

Justin(e),

Ardèche, Haute-Savoie, Larzac.

Mon nom est personne

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Il y a aujourd’hui un beau spectacle. Celui de la peur bleue de n’être personne. Là est tout l’amusant paradoxe : à être ou ne pas être, le jeu est d’être le second en lui donnant le nom du premier. Or, le monde étant régulièrement assimilé à une scène de théâtre, pour continuer sur les savantes paroles d’un barbu léger, le rapport social est bien le lieu de prédilection où observer ce spectacle de tous les instants.

Face au risque constant de mauvaise réputation, éviction de l’arène de la mondanité, crucifixion sans gloire post-mortem, l’image ornée, le masque, semble être de mise. Image de soi fondée sur une image d’Epinal, l’enjeu est de se fixer. Mais une fixation voulue, et donc pleine du délice de choisir : quelle image ? quel type ? Alors seulement le rapport social peut-il être conditionné par ces Mesdames et ces Messieurs qui s’assimilent à leur catégorie respective (reine, roi, cavalier, tour, fou… ah non ! pas lui !). Le spectacle offert aux nonchalants est vertigineux : chacun adopte un masque pour fuir le mariage forcé avec la foule, avant de rejoindre cette dernière in extremis dans un mariage d’amour. D’aucuns appelleront cela, par malice, un mariage pour tous.

Le drame, quoique relatif, arrive quand l’image fonde, médiatise et définit le rapport social en profondeur. Ainsi, avoir la mauvaise réputation d’être un marginal ou de se chercher encore reviendrait à être pointé du doigt en tant que rejeté des troupes, Assurancetourix de la farce quotidienne. Le spectacle continue toutefois, plus loin encore, et montre la quête effrénée de la situation, autrement dit l’aboutissement (et donc l’arrêt). Musil, dans le récit de sa quête de ne plus être pour mieux être, résumait ainsi cet aspect : « le poème non-écrit de la vie s’opposait à l’homme copie, à l’homme réalité, à l’homme caractère ».

Etre réalité, incarner un caractère, être sérieux… Tous les artifices sont bons pour se fixer, devenir, autrement dit le grand enjeu contemporain. Nul étonnement à avoir face à ce constat dans le cadre d’une civilisation où l’existence et le monde sont pris comme ensembles de données définitives. Et pourtant, ironiquement, le masque le plus en vogue est celui de la jeunesse éternelle, jeunesse à laquelle sont pourtant habituellement assimilées les idées de nouveauté, d’essai (et non de fin). Il faut donc du fond de teint, des baumes anti-fatigue, de l’auto-bronzant ou tout ce qui peut lisser la peau du visage, effacer son vécu : le rendre vierge de vie, l’inexister.

Etre sérieux est également un programme intense. Il faut par exemple, aujourd’hui, être pour la liberté d’expression, mais celle validée par les autorités politiques, gage de sérieux. Alors pourra-t-on être reconnu par ses pairs sur la scène mondaine comme défenseur des causes justes, le combat étant rudement mené par les soldats de la liberté et de la paix à coups de hashtags, aussi parfois appelés « gazouillis » (sans doute pour leur mélodie). Mais comment en vouloir à ces drôles d’oiseaux d’avoir oublié comment réfléchir ? D’abord a-t-il fallu nous retirer nos dents de sagesse, puis la télévision nous a appris que la pensée juste était celle « sans transition »…

Bref, malheur à celui qui s’essaierait à penser, il ne pourrait alors plus, en cas de succès, devenir quelc…qu’un.



G.L.