(éloge érotique de la femme voilée)
Vacarme et immédiateté de la mise au jour me lassent. Sans effort, ils offrent la consommation et ne m’évoquent que le besoin à satisfaire. L’impulsion érotique omniprésente m’essouffle et m’ennuie, toujours identique et aux effets toujours mécaniques. La peau toujours plus à nue, banalisée par les uniformes de la libération, rappelle de jadis beaux oiseaux déplumés : écrasés à terre, leur élégance en berne.
Par-delà l’abrupte révélation des sens, j’espère conquérir les invisibles. Ces oiseaux de paradis semblent presque issus d’un monde fantasmé, oasis de désir au milieu de l’infinité fade des grains de sable. Majestueux et insaisissables dans leurs cieux, je les vois terrassant de haut l’humanité, à l’image des aigles royaux dont l’impériale splendeur atteint une paradoxale forme de modestie.
Du jour où mon imaginaire est ménagé, j’aimerais arriver à la nuit. Le voile nocturne m’obséderait et appellerait la découverte, l’effort, la lenteur, pour enfin, dans un entrebâillement, révéler des étoiles, sinon des constellations. Une voie lactée dans le voile, plus belle parure de la femme, humilité de l’invisible qui conquiert la pudeur, le silence et ainsi la noblesse. Les icônes religieuses m’émeuvent d’ailleurs inlassablement par le mystère de la sainte mère qu’elles dessinent dans les plis du vêtement : beauté inaccessible au regard impur et indigne, lui-même miroir d’une âme avide et pressée.
L’offrande quotidienne de la nudité éteint la flemme de mon ardeur, mais le voile m’inspire l’espoir de la rêverie, de la jouissance de l’attente, de la séduction. Loin de s’agenouiller devant l’étendard du sexy et l’acceptation aveugle de cette liberté d’être consommée instantanément, le voile m’invite à l’amour de l’autre, à l’éloge de la femme, point culminant de l’érotisme et déité de l’indestructible luxure ; dépassant la satisfaction autocentrée et exigée illico.
Forme d’avatar d’un monde ancien sans repère historique, le voile rappelle l’origine honteuse de la nudité et inspire, impose le respect immémorial devant les grandes puissances. Salomé surhumaine et étrange dont la volonté et la grandeur ont raison des rois, ainsi m’apparaît la femme enroulée dans son vêtement, danseuse dont le talon éphémèrement dévoilé rend à la jouissance sa beauté, laquelle est exacerbée dans la durée ; l’imaginaire liberté de se dénuder est là toute remplacée par une délivrance aristocratique — l’étincelante disparition.
Rétablissant son véritable pouvoir, la nuit fait d’elle une éclipse où secousses, frissons, coruscations éblouissent. Les parfums bouleversent les sens qui s’éveillent quand la symphonie des pierres précieuses s’entrechoquant laisse entrevoir la chair, aveuglante de furieuse nudité. La perception du bijou se délite devant le faste d’un tel spectacle, le corps offert retrouvant sa valeur sublimée : rubis, émeraudes et ambre s’inclinent devant ce nu retrouvé, ultime vision de l’absolue.
G.L.