Murmures

Edito

Trois petits chats, trois petits chats, trois petits chats chats chats

Chapeau de paille, chapeau de paille, chapeau de paille paille paille…

Quand j’étais gamin.e, il y avait une chanson qui passait à la radio. Ca faisait :

Ecoute le silence des frontières, c’est du dollar qui desespère parce qu’il n’entend rien.

A la même époque, on allait faire les bords des chemins aux vacances de la Toussaint en gueulant :

Les mûres sont mûres ! Les mûres sont mûres !

Certain.e.s de mes potes plus agé.e.s se prenaient pour des badasses parce qu’illes recouvraient les murs du 92 de leur blase et la plupart d’entre nous recouvrions le bleu ou rose assigné à la naissance dans notre chambre.

J’avais 11 ou 12 printemps de l’hemisphère nord, je n’entendais pas grand-chose des paroles, j’aimais bien bouffer les mûres dans le panier avant d’en faire de la confiture, je trouvais que mes potes étaient cool même s’illes se la jouaient un peu. Comme les murs de ma chambre d’ailleurs.

A cet âge là, il y avait des images de gosses affamés, des tremblements de terre, des tirs militaire et des explosions. Je me souviens de cette expression, tellement hype dans la bouche des ministres au début des années 2000 : tolérance zéro. C’était un jeu de ping pong, une partie d’échec, un match amical entre camarades de promo à qui trouverait la meilleure politique sécuritaire. Le 21 Avril 2002, on est beaucoup à avoir arrêté de voter avant l’âge légal. Et les actualités faisaient le bruit d’un avion militaire en entraînement à 6h du mat au dessus d’un village d’Ardèche, d’une rave à Fontainebleau au milieu des années 90, d’un marteau piqueur dans ta cage thoracique. Un boucan à te donner envie d’appuyer sur pause.

Et que la pause dure.

Le temps de réfléchir

Le temps de se souvenir :

Chine, Pays-Bas, Allemagne, Chypre, Hongrie, France, Irlande, Bulgarie, Syrie, Libye, Irak, Israël, Maroc, Etats-Unis, Pakistan, Bangladesh, Afghanistan, Ouzbékistan, Botswana…

C’est pas un match de foot. C’est des postes de contrôle, des miradors, des frontières barbelées, bétonnées, electrifiées. Des murs en somme.

Dans les années 2000, je connaissais un peu le mur de Berlin grâce à David Bowie et aux cours d’Histoire. Je savais que ma famille, un peu de partout, là bas à l’Est, avait fui avant d’être emmurée. Je savais aussi les textes que je lisais, loin des gros titres et des règlements de compte. Je me souviens surtout d’Une Bouteille dans la Mer de Gaza et de Je t’écris de Berlin. Et je comprenais pas pourquoi tout le monde n’était pas comme les héro.e.s de ces deux bouquins: à s’écrire pour comprendre, pour tisser un pont plus haut que les murs, pour devenir plus grand.e.s et plus intelligent.e.s que les joueurs du match UMP-FN qui se faisaient des courbettes sur le gazon parfaitement entretenu de l’Elysée.

J’étais naï.f.ve et bien à l’abri entre les quatre murs de ma chambre en dur.

Ce mois-ci, le Barbu tentera, tant bien que mal, de vous aider à défoncer les murs, tous les murs, assis.e.s, debouts, couché.e.s, dans votre chambre, votre salon, au bout du monde ou pas vraiment, à Noisy le Sec ou à Singapour. Et, entendu qu’on m’a laissé la parole en prem’s, un conseil : détournez la tête du vacarme, des rumeurs qui gueulent et écoutez les mots que vous croyez usés, fatigués ou délavés. Les trop longs, les compliqués, les épuisés. Et peut-être qu’un jour, les murmures gagneront sur les paroles figées, les jolis clichés et les complexes sécurisés.

Justin(e), no border

On a sauté le mur

On a sauté le mur

Nous nous retrouvâmes au pied du mur. Nous étions sept et le défi de taille : s’immiscer dans une soirée huppée gardée par des gros bras recrutés en nombre. Pourquoi, me demanderez-vous ? Le léger piquant du risque, peut-être, le retour en enfance, sans doute, le goût de la provoc’, sûrement.

D’abord, repérer un lieu stratégique, là où le mur est moins haut, là où le grillage flanche. Puis, se montrer solidaire : l’un fait la courte-échelle à l’autre qui fait la courte-échelle au suivant, et au suivant, au suivant, au suivant, jusqu’au dernier, qui se démmerde.

Là, le jeu commençait vraiment. L’adrénaline monta légèrement lorsque nous gravîmes ce premier obstacle. Retombés de l’autre côté du mur, une forme de joie nous prît aux tripes. Une joie absurde mais réelle. Alors, sans raison et sans un regard, nous nous mîmes à courir. Avec une légère trouille au ventre, mais en riant, nous courûmes comme des fous.

L’étape la plus ambitieuse restait à accomplir : s’infiltrer au cœur de la soirée, de nouveau protégée par des grillages et, surtout, par une vingtaine de bonshommes en noir, peu disposés à rire de nos gamineries. Scotchés tous les sept derrière un arbre trop frêle, nous osions à peine respirer.

Nous dûmes alors repérer un nouveau lieu tout aussi stratégique que le premier. C’était tout vu : les poubelles. Idéales pour la réception de l’autre côté du grillage. Depuis la soirée, certains hôtes entrevirent sept têtes effarouchées dépasser des hautes herbes et atteindre la grille. Re-courte-échelle. Bien trop courte, cette fois, tant il nous fût difficile d’atteindre les poubelles sans conserver quelques douloureuses traces grillagées sur l’arrière des cuisses.

Non sans joie, je fus le premier à me lancer, le premier à empaler mes fesses sur le grillage. Là, je mesurai tout la portée du ridicule. Personne ne me voyait, sans doute – mes amis mis à part -, mais je sentais le regard sarcastique de milliers d’yeux sur mon corps encombrant. Quelques secondes plus tard, je me retrouvai de l’autre côté du grillage, planqué derrière les poubelles. Mon cœur battait avec violence. Je craignais qu’il ne prévienne les vigiles.

Que risquais-je ? Peu de chose, si ce n’est la honte. Cette honte du gosse pris la main dans le sac. Cette honte qui monte aux joues du gamin démasqué lorsque, pris en flagrant-délit, son cerveau bat en retraite, laissant place à un regret cruel.

Soudain, un Eh, toi là bas ! résonna. Ce n’était pas pour moi, mais pour le dernier, celui qui n’avait pas eu droit à la courte-échelle. Il ne bougea pas. Stratégie de la statue, du je-n’existe-pas. Classique. Sauf que dans son cas, la statue était accrochée au grillage, les yeux grands ouverts, l’air ahuri. A la deuxième injonction, il opta pour la solution de repli et fuît, sous le regard d’un gros vigile aux yeux rougis de fureur.

Derrière les poubelles nous étions encore six, pétrifiés. Dans nos petites têtes, c’était fini. Impossible de reculer, mais difficile d’y croire encore. La sécurité alertée, la honte ultime était proche. Alors, dans un mouvement désespéré, nous sortîmes de notre cachette et marchâmes, tout sourire, vers un groupe de garçons costume-cravates, avec lesquels nous jurions sans doute par nos T-shirts trop grands jeans troués baskets délavées. Nous attendîmes patiemment qu’une main rude vienne se poser sur nos maigres épaules afin que nous rendîmes les comptes qu’indéniablement nous devions rendre. A notre grand étonnement, il n’en fut rien.

Après quelques minutes, la frousse laissa place à une petite fierté, accentuée lorsque nous saluâmes, sans doute un brin trop satisfaits, nos amis introduits à la régulière. La mémoire courte, nous nous dîmes que cela n’avait pas été si difficile, finalement.

Cette victoire avait un goût délicat de liberté. Une liberté simple. La liberté de sauter les portillons du métro sans même vérifier la présence de contrôleurs tapis dans l’ombre, ou la liberté, adolescent, de faire le mur pour échapper à des lois tyranniques et arbitraires.

Alors oui, la soirée chic était d’une remarquable fadeur ; mais notre soirée à nous fut un discret triomphe. Parce que oui, ce soir-là, on a sauté le mur.

Papouche

Mon cher corps

Nous avons passé tellement de temps ensemble qu’il me semble tout à fait surprenant, aujourd’hui, que nous soyons encore là l’un et l’autre, en plus ou moins bon état. J’ai bien cru de nombreuses fois, je te le dis, que tu finirais par jeter l’éponge. Tu as toujours été si humble que tu ne t’es jamais plaint : pas même lorsqu’en véritable tyran j’appuyais sur ton dos une colère si lourde qu’il ne s’en relève plus. L’érosion lente de ton tronc a duré près d’un quart de siècle, ta colonne tordue a supporté mes plus terribles révoltes. Et pourtant je te surprends parfois à tenter de te relever en passant devant la vitrine d’un magasin. Pour avoir l’air digne.

Parfois je me dis que mes souvenirs, je veux dire ce que je crois avoir été, ne sont que des fragments incertains dont une bonne moitié doivent relever de ce que j’aurais espéré être. Avec le temps la distance entre les deux s’efface mais heureusement tu me tires par la manche et tu me racontes. Tu portes le passé dans ta chair si farouchement que chaque centimètre de ta peau est une mémoire. La nuit lorsque je n’arrive plus à dormir tu exhumes de vieilles cicatrices dorées et tu me racontes. A 8 ans je me suis assise dans l’herbe et j’ai posé ton poignet sur un rayon de vélo posé à côté de nous sans faire exprès. Le médecin nous a demandé : « un fil noir ou un fil bleu ? ». J’ai choisi le bleu parce qu’il te va mieux, et nous avons montré la cicatrice à toute la classe. Cette fine ligne blanche au-dessus de tes veines renferme depuis une gloire secrète qui me procure encore parfois la délicieuse sensation d’être un survivant.

A 11 ans je t’ai rejeté. Il faut dire que tu n’étais pas beau à voir. Pourquoi ne te laissais-tu pas, comme toutes les autres, gonfler des seins ronds et des hanches larges ? Pourquoi s’évertuer à garder une forme d’enfant coincé entre quatre murs de chair, de grandir comme une grosse planche raide qui voudrait redevenir un arbre. Tu es devenu gauche et maladroit, tu as commencé à te prendre les pieds dans tes propres pieds. Je te disais « tu es ridicule » et tu essuyais la boue sur ton pantalon en haussant tes épaules maigres. J’avais tellement honte de t’exhiber que je me suis demandé plusieurs fois : est-ce que je ne peux pas te faire plier, te modeler par la pensée pour que tu me correspondes, pour que tu sois moi. Combien de fois ai-je retenu un coup de pied mental dans ton absence de fesses.

La nuit j’étouffais ! Pourquoi fallait-il que je sois emmurée dans une couche épaisse de chair et de muscles qui ne cessent jamais de mourir. Nous passons toute notre vie à chercher une porte de sortie, et même si nous décidions d’éclater notre grosse tête contre le sol on n’en ressortirait pas vivant.  Si tu as souffert d’être accusé à tort de mes humeurs, je m’en excuse. Tu étais, et tu l’es encore parfois, le coupable idéal. Muet, imparfait et tangible.

Aujourd’hui, tu vois, nous sommes encore là tous les deux. Nous avons traversé une petite partie de la vie et je trouve qu’on s’en est plutôt bien sorti. Ton dos est courbé et ton genou gauche craque parfois comme un vieux mécanisme mal huilé, mais tu as gardé quelque chose de l’enfant que nous étions et que tu n’as jamais voulu tout à fait abandonner.

Un jour viendra où tu peineras à gravir les escaliers. Où je te scruterais avec curiosité sans reconnaitre tes membres noueux et gris, ton regard absent et ce léger tremblement de la lèvre. Je regarderai ces seins si durement acquis tomber comme deux pommes mures (ça valait bien la peine que tu les fasses pousser). Sans doute qu’alors viendra l’heure de te pardonner, et je te prendrai à bout de bras pour te guider là où tes yeux ne verront plus. Je triompherai d’ingéniosité pour contourner tous tes handicaps dans un éclat de rire. Je te mentirai même un peu (« tu n’es pas si mal pour ton âge ! ») pour que tu continues à essayer de te tenir droit dans la rue. Quand enfin ta peau-parchemin sera tellement usée qu’on ne pourra plus rien écrire dessus, j’exciterai mon intelligence pour graver en moi, c’est-à-dire dans rien, notre mémoire commune. Je ferai l’inventaire de chacune des traces, marques, blessures que le temps a lavé, et je le raconterai à qui veut bien.

Quand viendra la fin, tu me diras « allons viens, on y va ». Et on s’en ira.

Alesklar

Mon cher corps

 

L’insoutenable vertu du mur

L’humanité se divise essentiellement en deux catégories. D’une part se trouvent les cons. D’autre part moi et quelques autres. Dieu n’a manifestement pas assuré le SAV. Logiquement, nous en venons au mot d’ordre suivant :

« Bâtissons un ghetto des cons ! »

Nous construirions ainsi quatre beaux murs. De l’extérieur, nous appellerions cela « le carré de la liberté. » L’admission s’y ferait sur la base du volontariat. Il serait ainsi écrit sur le portique, à l’entrée :

« Nul n’entre ici s’il n’est con. »

En proie au doute car négociant assez mal la double négation, le con passerait l’entrée sans trop de scrupule. Il serait appâté par le bruit et la lumière provenant de l’intérieur.

De l’autre côté des murs, nous organiserions la vie des cons. Détaillons la logistique. Leur choisir un chef : être intransigeant et ne pas revenir sur notre avis initial, car les prétendants rivaliseraient d’ingéniosité pour accéder au titre. Aussi par exemple, organiser des Jeux olympiques des cons, et imposer  par là même le squash afin que tous se renvoient joyeusement en plein groin l’inénarrable connerie de leur existence.

De l’autre côté des murs, faire de la sociologie, ou de l’ethnologie, ou de la zoologie, c’est selon. Contempler, grands rêveurs que nous sommes, philanthropes 2.0, l’extraordinaire hétérogénéité et l’incroyable fermentation du ghetto : des cons de banquiers, des cons de vendeurs H&M, des cons d’étudiants (vaste panel), des connes de pompom girls, des cons de membres de l’Académie (panel plus restreint), des petits cons, des cons maigres, des gros cons, des grands cons, des sombres cons, des cons de chauffeurs de taxi et de Uber (y’a pas d’raison…), des cons de ministres, des cons de riches, des cons de pauvres, des cons de gauches, des cons de droite, des cons d’escrocs, des cons de gentils…

Le ghetto se remplit bien. Ils passent en masse sous le portique. Villes et campagnes se dépeuplent. De grands vides démographiques se créent. J’aperçois de vieilles connaissances s’avancer timidement, d’autres cons s’engouffrer sereinement, d’autres y aller d’un pas carrément décidé, et je goûte l’intime satisfaction de les voir progresser main dans la main vers l’extinction. Bientôt, ils seront tous ensemble. Renforcer les fondations des murs. Epaissir tout cela au parpaing. Bétonner. Calfeutrer.

L’imbouffable vérité de leur lourdeur. L’analyser. Désespérer quelques secondes, puis prendre des mesures radicales. Appliquer le « vaste programme ». Saupoudrer délicatement le carré de la liberté – via hydravion surpuissant et kaki – d’une poudre toxique extrêmement fine ; diffuser ainsi des particules entrainant la stérilité de quiconque les respire. Leur faire croire que la poudre en question rend beau et riche, et peut-être même qu’ils la mangeront. Performer de la sorte une belle apocalypse sanitaire. La plus belle œuvre moderne.

Titou

L'insoutenable vertu du mur

Le cri qu’il fallait pousser dans la nuit

BD Marge

 

À l’heure de la crise du papier, du livre et des arbres, il est vrai qu’il peut sembler absurde de s’acharner encore et toujours à lire de la presse. Encore plus de la presse spécialisée. Encore plus de la presse spécialisée en bande-dessinée. Mais si je suis une absurde acharnée, je suis néanmoins ravie de ne pas être la seule.

En février 2016, quelques irréductibles bouffeurs de papier glacé ont décidé de se lancer dans la grande aventure du mensuel disponible dans tous les kiosques pour défendre le gag et la planche, envers et contre tout. Aujourd’hui, vous pouvez donc demander le dernier numéro de AAARG, « magazine de bande dessinée et culture à la masse ».

Plus qu’une onomatopée un peu humiliante à pousser face à votre marchand de journaux, AAARG est un cri revigorant dans le paysage de la bande-dessinée indépendante. Ici pas vraiment de ligne éditoriale, juste une déclaration d’amour au neuvième art, à chaque page, pour les artistes de tout style tant qu’ils ont l’estomac bien accroché, une case en moins et un peu de talent pour faire passer tout ça. Avec pour seul mot d’ordre la beauté et l’intelligence, il propose une multitude d’artistes, une multitude de styles et d’histoires qui font d’un numéro un voyage sous acide dans la bande dessinée. Et pour parler de bande dessinée, AAARG rappelle que c’est aussi et surtout de l’art, des beaux dessins, tout simplement, avec des dossiers d’illustrations entre deux planches, des couvertures qui à elles seules méritent que tu craques 4,90€ une fois par mois.

AAARG c’est un cri passionné au fond de la nuit, c’est le cri de mecs et de nanas qui savent bien que c’était pas l’idée du siècle de mettre tout son PEL dans la presse papier, mais rien à foutre parce que la bande dessinée c’est important, parce qu’il y a toujours quelqu’un pour faire une planche ou un album alors il faut bien quelqu’un pour en parler, il faut encore des petites portes quand la grande est trop souvent fermée.

Dans le premier numéro, le rédacteur en chef, Pierrick Starsky, l’ouvre, cette porte : « Encore, on va se démener pour faire tomber les mûrs, bâtir des passerelles, faire une tambouille de cultures populaires, avec les meilleurs ingrédients possibles, la crème des auteur.e.s, des journalistes ». Et c’est exactement ce qu’ils arrivent à faire. Plus que de parler de bande dessinée, ils l’associent à la culture populaire, la rédaction arrive à intégrer bien plus facilement la bande dessinée dans le monde actuel, à le raccroche au monde réel là où elle semble quand même trop souvent vivre dans son ermitage. Avec des articles de fond (plus ou moins intéressant et recherchés mais on ne peut pas toujours tout avoir) sur des sujets sérieux comme les grosses blagues du XXIeme siècle (tu connais l’extrem ironing ? C’est encore pire que ce à quoi tu penses quand je le dis) AAARG boucle la boucle parce que oui tu peux être un intello des gribouillages.

Avec son éclectisme et sa curiosité, des planches aux conseils de lecture, la rédaction arrive toujours à surprendre et ça fait du bien d’acheter un magazine qui n’est jamais la même chose d’un mois à l’autre, vraiment pas la même chose. Évidemment tu retrouves tes chouchous (big up à Dav Guedin et Down with the kids), parce que c’est aussi une famille, mais il y a toujours un petit nouveau bien sympa à découvrir. AAARG c’est un cri courageux dans une époque où le papier, la bande dessinée et les dessinateurs ont un avenir de merde. Rien que pour ça, il vaut le détour. Bon par contre, comme ils ont pas une thune, il y a un max de pub et ça c’est un peu chiant. Mais même leurs pubs elles mettent en avant des trucs cools.

On a passé un an et demi ensemble et je suis contente d’avoir enfin réussi à te parler d’actualité, surtout de cette actualité. Si tu pouvais aller voir un numéro, pour changer ta vie et aider la leur, ça serait vraiment chouette. Merci pour tout le temps passé, merci de m’avoir lue, j’espère t’avoir présenté quelques auteurs chouettes. J’ai voulu clôturer la rubrique bande dessinée du Barbu avec un espoir pour l’avenir de la bande dessinée. N’oublie pas d’en lire. Koeur koeur sur toi.

 

            Shamsi.

Jet lag

Poème Justine

You eat 8 meals a day and here

whatever the hour, you can pretend

you’re just jet lagged

You drink beer in the hall entrance

so what

You take drugs before flying

You’re alone in a passing space

eating your 20grams-5euros-cookie

You’re temporarily imprisonned but it’s for your own safety

People check your luggage every day but they won’t go away they won’t go away

The person cleaning the floor has a 38-country-passport which does not even include where they currently live

People are speaking other langages identified as other langages – no one will learn anything here

A guy shows his black credit card asking if he can go the fast lane

There are no fast lanes here but

long corridors, clean tunnels, steps, doors

You don’t recall where you are right now

Could be Rio could be Paris or Santiago

It is not worth knowing as you won’t cross the exit line

This is not a poem about exile

There is a city out there you may never know

Too close to your aim, I know

Why would you bother taking a train, too slow

Fair enough

You’re just gonna vomit your 9th meal of the day and keep your eyes down on the screen promising extra time, short cuts, 6 to 6.45 casual sex or 1 to 1.45 lunch with a business partner. Same. pm.

Though I don’t do jet lag.

Justin(e), no man’s land

L’horoscope du Dr. Céphalopodus – Juin 2016

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Bélier

Au détour d’un couloir de la Sorbonne, vous découvrez un cadavre au crâne défoncé. La malheureuse victime est vêtue d’un magnifique poncho vert. Après avoir alerté les autorités compétentes, vous partez déjeuner.

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Taureau

Image d’une jeunesse décadente et dégénérée, vous passez vos journées à boire panaché sur panaché place de la Sorbonne en regardant passer les gens. Du fond de votre torpeur, vous remarquez un poncho vert qui entre dans l’université à 11h15, un mémoire consacré aux figures du Yéti dans la littérature hollandaise du XVe siècle qui y entre à 11h25, en ressort à 11h50 puis y rentre à 15h accompagné cette fois-ci par des lunettes triangulaires.

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Gémeaux

Vous avisez, effondré sur le trottoir devant une imprimerie, un individu au désespoir, aux chaussures jaunes fluo et secoué de violents sanglots. Cette personne se met à crier très fort, brandissant le poing au ciel et jurant de se venger, mais ça ne vous intéresse pas tellement alors vous passez votre chemin et allez voir le dernier film d’Almodovar qui est très bien.

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Cancer

Vous connaissez une mort relativement rapide qui n’est qu’un médiocre châtiment comparé à la gravité de votre crime.

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Lion

Alors qu’un de vos amis aux lunettes triangulaires vous présente fièrement son mémoire de M2 fraîchement imprimé, vous lui faites remarquer que celui-ci est couvert de taches de sang, comme s’il avait servit à perpétrer un crime odieux.

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Vierge

Vous émettez l’hypothèse qu’il pourrait y avoir plusieurs personnes aux lunettes triangulaires, aux chaussures jaunes ou au magnifique poncho vert, plusieurs mémoires sur la figure du Yéti dans la littérature hollandaise du XVe siècle, et affirmez que les liens de cause à effet ce n’est pas aussi simple que cela. Vous vous trompez, dérapez sur une peau de banane de quittez en vol plané cet horoscope dans lequel votre rationalisme est mal venu.

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Balance

Alors que vous gambadez gaiement dans le quartier latin par une belle matinée ensoleillée, vous êtes alpagué par un ami vêtu d’un splendide poncho vert en poil de lama. Cette personne apparemment si respectable, à laquelle vous avez accordé votre confiance depuis longtemps et au goût vestimentaire si sûr, a l’outrecuidante de vous spoiler le denier épisode de Game of Thrones au détour de la conversation. Vous entrez dans une rage terrible et quittez Paris en vous promettant de ne jamais remettre les pieds dans cette ville maudite aux habitants détestables.

scorpio

Scorpion

Vous êtes plombier et volez au secours d’une personne aux lunettes triangulaires.

sagittarius

Sagittaire

En sortant d’une l’imprimerie, vous êtes le témoin involontaire d’une conversation que vous auriez préféré ne jamais, jamais, jamais entendre. Vous vous effondrez sur le trottoir, un mémoire de M2 consacré aux figures du Yéti dans la littérature hollandaise du XVe siècle fraîchement imprimé sous le bras, et laissez couler vos larmes.

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Capricorne

Vous passez d’agréables vacances en Franche Compté, vous roulant dans l’herbe, caressant les vaches et tuant avec acharnement les mouches qui passent à votre portée pendant que vous prenez le goûté. Consultant l’horoscope du Barbu que vous avez emporté avec vous, vous décidez de résoudre l’étrange et mystérieuse affaire que l’on vous y propose. En serez-vous capable ?

verseaugétorix

Verseau

Astrologue en veine de prophéties, vous mettez laborieusement au point une énigme policière extrêmement morale ayant pour but non seulement de divertir vos lecteurs mais aussi de dénoncer un terrible vice de notre époque dont vous avez récemment été vous même l’innocente victime et qui, ici, est le mobile du meurtre.

pisces

Poisson

Vous n’avez pas imprimé votre mémoire de M2 (consacré aux figures du Yéti dans la littérature hollandaise du XVe siècle) à l’avance. Le jour où vous devez le rendre à votre directeur de mémoire, une fuite d’eau malencontreuse (toute les fuites d’eau le sont) vous retiens chez vous alors que vous voudriez courir à l’imprimerie. Vous demandez à un ami aux chaussures jaunes fluo d’aller imprimer votre œuvre à votre place pendant que vous attendez le plombier. Plus tard dans la journée, vous retrouvez cet ami place de la Sorbonne, il vous remet votre œuvre imprimée et reliée par ses soins. Vous êtes bien content.

Please be my freak

marguerite

Ce mois-ci, l’édito c’est pour Shamsi (t’as vu je commence avec une rime) et en plus on parle des « Human freaks ». Honnêtement, ça ne pouvait pas mieux tomber : toute ma vie j’ai été l’enfant fou, l’ado étrange, la meuf « sympa mais avec un pète au casque ».  Du coup j’ai allumé tous les neurones de mon cerveau mal branché pour me lancer dans un long témoignage vibrant, parlant, touchant, émoustillant, sur ce que c’est d’être une « human freak » au 21ème siècle.

Sauf que.

Sauf que j’avais beau m’agiter le bocal, impossible de témoigner de quoique ce soit. Je me suis jamais sentie « freak » – peut-être en décalage mais quand t’as la courbe de croissance d’un basketeur de NBA tu t’habitues – et je l’ai pourtant toujours entendu. A force, je l’ai même intégré à ma personnalité jusqu’à en faire son point d’orgue ; comme si mon étrangeté était le fondement de ma personnalité. Et maintenant que je dois parler des « Human freak » et que j’essaye de dépasser la perception populaire des Hercules de foire et autres femmes à barbe pour m’intéresser à ce freak 2.0 si à la mode avec son étrangeté toute psychologique je me trouve coite. Et pourtant Dieu sait que j’ai entendu parler de mon étrangeté toute ma vie : à mon premier rire ma mère s’est demandé si j’étais pas anormale parce que j’avais poussé un son hyper guttural en me suspendant à un accoudoir…

Mais quand j’y réfléchis, je me rends compte qu’être cette fille bizarre qu’on pointe du doigt c’est juste entendre les gens dire que t’es bizarre alors que tu fais un truc qui te semblait parfaitement normal jusqu’à présent. Et qu’en vrai tu trouves toujours normal mais tu sens que… bah y a un truc qui va coincer. En m’intéressant à la question du freak je sentais combien tout ce qui me permettait d’interagir avec les autres, était marqué de cette étrangeté, de ce malaise. Comme si je n’avais jamais aimé comme tout le monde, ri comme tout le monde, vécu comme tout le monde, dans la joie comme dans la peine.

La question n’est même plus si j’ai vécu mais comment j’ai vécu, si cela a été normal, si j’ai dit ce qu’il fallait et surtout comment il le fallait. Rétrospectivement, j’ai passé plus de temps penchée sur la façon dont j’avais dit les choses que sur ces choses. Particulièrement quand je voulais exprimer mon amour. Quand tu es marqué d’étrangeté, tu es éloigné, tes sentiments, aussi sincères soient-ils, deviennent presque une anomalie, quelque chose d’aussi « freak » que toi.

Pour aller plus loin, j’ai googlé. Après avoir dépassé la page Wikipédia (vous valez mieux que ça) et la page du Larousse traducteur, je suis tombée sur cette contributrice de l’Urban dictionnary qui disait un truc du genre « les freaks sont juste des gens qui vivent un peu dans leur tête, c’est pas eux qui cherchent à se faire appeler comme ça mais comme ils se comportent comme s’ils étaient seuls on dit qu’ils sont étranges »[1] . Y a aussi des gens qui t’expliquent que ça désigne les salopes BDSM au visage virginal mais cette définition n’est pas pertinente dans cette explication.

Le « freak » c’est la différence. La différence à un instant t, face à un groupe G dont les codes ne correspondent en rien à ce qu’il se passe dans la tête de cette personne qui sera pointée comme une « freak ». Il est évident qu’avec cette définition le spectre du « freak » va de Rocco Luka Magnotta à ce mec un peu dégueulasse qui mâche la bouche grande ouverte. Mais pourquoi pas ? Et si même toi, la semaine dernière, quand t’as fait des courses, le mec derrière toi à la caisse s’est dit que ton caddie était celui d’un « freak »? Et d’ailleurs tu crois que le monde entier considère comme normal – et même sain d’esprit – d’avoir une gastronomie qui sert encore des cuisses de grenouille ou des escargots ? Non. Bien sûr que non. Et tant mieux. C’est chouette d’être un peu bizarre pour d’autres gens, c’est saler le quotidien des autres, c’est égayer sa vie, c’est ressentir plus, plus fort, parce qu’il y a moins de barrières, parce que tu t’écoutes plus, parce que tu te fous un peu la paix. C’est chouette d’être bizarre tout court même ! Ce qui est moins chouette c’est quand le groupe G te considère trop bizarre à cet instant t, puis à l’instant t’, à l’instant t’’ et encore, et encore. De plus en plus. C’est moins chouette parce que c’est douloureux, parce que ça devient douloureux d’être soi.

Un jour, un amoureux m’a dit « je t’aime parce que t’as un côté autiste ». Avant que j’ai eu le temps de me vexer de cette énième synonyme de « freak » dans le langage populaire (et mal renseigné) il a continué. « Non mais on a tous un côté autiste, ce qui est bien avec toi c’est que tu le laisses s’exprimer et on devrait tous les laisser s’exprimer, on vivrait mieux, plus fort, parce que les autistes ils voient tellement de trucs qu’on masque avec nos codes à la con ».

Ce mois-ci je suis heureuse d’écrire l’édito du numéro où on casse les barrières, où être freak ça fait mal, ça fait peur, ça fait bizarre, mais surtout, surtout, c’est être soi.

Shamsi

[1] Cette citation n’est en rien une citation dans le texte. Je t’épargne la citation littérale de ce commentaire à l’anglais et à l’orthographe que nous qualifierons de douteux.

D’un trou sombre de la terre

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« Le nommé Ushikawa lui faisait penser à quelque chose de répugnant surgi d’un trou sombre de la terre. Quelque chose de visqueux, d’insaisissable, quelque chose qui ne devrait pas être exposé en pleine lumière. » (Haruki Murakami, 1Q84)

Ushikawa n’est plus homme. Quelque chose de répugnant. Son corps boudiné, empâté, respire mal. Il inspire le dégoût aux autres et respire le dégoût des autres. Il exhale une odeur douloureuse. A chaque pas du dit Ushikawa, de grosses gouttes glissent entre les plis de sa peau molle. Il marche ou rampe, la différence est mince, même à bien l’observer. Sans cou, limace informe unie de la taille à la tête, qu’il a chauve et plate, il est peu dire qu’Ushikawa n’inspire pas la confiance. Court sur patte, colonne vertébrale courbée, dentition monstrueuse, pourtours du crâne déformé, rien ne marche ordinairement dans cette carcasse brancale et boiteuse. Rien non plus ne paraît naturel ; le malaise s’impose chez ceux qui l’aperçoivent, l’écœurement chez ceux qui le côtoient. Oui, Ushikawa n’est plus un homme.

Ushikawa est hors du monde. Le monde le fuit, il fuit le monde, le monde le fuit encore, et ainsi de fuite. Muet, il se terre dans l’ombre la plus sombre. Ushikawa vit d’ombre et de solitude. Il est si seul qu’il rêve et s’ennuie, s’ennuie et s’ennuie encore. Mais il est de ces monstres patients qui, avec l’aide précieuse du temps, savent sucer leur proie jusqu’à la moelle. Il rampe doucement, tranquillement, et use de tous ses sens plus subtilement que quiconque. Il écoute, attentif, et se nourrit de la vue des autres. Il mange des feuilles de chêne, des glands et se gratte le dos contre l’écorce des arbres. Mais ça, ce n’est pas vrai. Ushikawa n’a plus de vie, il n’est plus qu’un salaud de no-life qui rêve de s’immiscer dans celle des autres. Il ne prend pas les boulevards éclairés par les vitrines, mais les ruelles étroites et noires qui puent l’urine jaune. Il suit à la trace, comme un chien, l’ombre des vivants. Voici pourquoi Ushikawa est hors du monde.

Ushikawa joue son rôle. Loin d’un Quasimodo au cœur massif, Ushikawa est un boueux, un vrai.  L’obscène Ushi s’est défait du lourd fardeau de son amour propre pour creuser son trou dans le vice. Voilà ce qui le distingue de la bonne brute, du freak le plus humain. Ce monstre corpulent, invisible survivant, se glisse sans cesse dans la peau du nuisible. Ses yeux contemplent les vivants et capturent des images, des visages. Clic-clic-clic, Ushi rit. Il rit derrière son appareil photo, derrière ses rideaux, derrière sa fenêtre. Le gros perv’. Il fige ainsi les passants, toujours à la recherche de sa proie. Mais Ushikawa n’est qu’un morpion de Murakami, un rouage de la machine 1Q84. Indispensable néanmoins, parce qu’il relie l’humain à la menace opaque de ce monde subtilement fantastique. Il est ce personnage, ni homme mi démon, qui fait appel à la partie la plus obscure en nous. L’auteur le dit, il paraît tout juste sorti de ce trou sombre de la terre. Et il va devoir y retourner. C’est pour mourir qu’Ushikawa joue son rôle.

Ushikawa est un Freak. Les critères du beau ne lui siéent plus, il est monstre. Mais de cette monstruosité, il ne fera rien. Pas un monstre terrifiant, pas un immonde scélérat, pas même une bête de foire, il est une bête à moitié humaine, à moitié méprisable, à moitié pitoyable. Et de sa vie, il ne restera rien. Et de sa mort, hideuse, ne demeure qu’une flaque d’urine stressée. Alors nous souhaiterions susurrer, doucement : Haruki putain, sois cool, arrache un instant cette carapace infecte, ce masque immonde, que ce pauvre nain puisse enfin respirer. Mais rien n’y fait. Alors que les deux héros sortent de ce monde inouï, main dans la main, amoureux joyeux neuneus ; Ushikawa, lui, reste là, face contre terre, minablement agonisé.

Pour le lecteur, une chose tout de même demeure : cette irrespirable odeur de pisse.

Le Papouchet